Paris climate action plan 2018

Plans action climat, entretien avec Yann Françoise

Yann Françoise

Yann Françoise © ARR

Monsieur Yann Françoise est responsable de la stratégie énergétique, de lutte contre le changement climatique et économie circulaire de la Ville de Paris. Ingénieur en génie-urbain de formation, il est devenu au fil du temps un spécialiste des questions énergétiques et de lutte contre le changement climatique dans les grandes villes. Depuis le lancement du Plan Climat Energie de la Ville de Paris en 2005, il est fortement impliqué dans sa mise en œuvre et son évolution avec l’objectif d’une neutralité carbone en 2050.

Entretien réalisé par Christian Horn, Kateryna Sykina et Essia Turki le 5 février 2020 à la mairie de Paris

C.H.: Monsieur Yann Françoise, le plan d’action climat actuel de la Ville de Paris a été adopté en 2018. Il se situe dans une succession et évolution des plans climat, depuis la décision de la Ville de Paris en 2005 d’élaborer un premier Plan Climat Territorial Énergie (PCET) .Où situeriez-vous le plan d’action climat? S’agit-il d’un nouvel outil de planification, comme par exemple les plans de mobilité élaborés par les villes depuis les années 1990, ou représente-t-il une orientation plus globale qui sert de guide pour la plupart des aspects de la gouvernance d’une ville?

Paris climate action plan 2018

Paris climate action plan 2018 @ City of Paris

Y.F.: Le plan climat peut être vu aujourd’hui comme un outil de planification en France. Il est devenu une obligation légale avec la loi en 2010. Ensuite cette loi a été renforcée en 2012 et en 2015. Donc, parce que c’est une obligation légale, on peut considérer que c’est un outil de planification. Mais pour certaines villes françaises, dont Paris, ce n’est pas vraiment vu simplement comme un outil de planification au sens ordonnateur. Pour nous, c’est plutôt un outil de dynamique, de stratégie et de vision.

Le premier Plan Climat de Paris date de 2007, comme celui de quatre, cinq autres villes en France, qui étaient précurseur dans la volonté de lutter contre le changement climatique à l’époque. Dans ces villes, entre 2005 et 2008, émergent des politiques environnementales soit d’énergie durable, soit dite climat en Europe. Et quand n’ay pas encore de loi, parfois c’est mieux, car ça vous permet d’être beaucoup plus volontariste et ambitieux, que de se limiter de répondre à un texte de loi. En plus à l’époque il y avait une petite compétition entre les villes précurseur, parce que Londres venait d’adopter son plan.  Cela a permis de dépasser ce cadre purement légal et administratif introduit par la loi de 2010 et être plus inventif. Car si on suit le texte de loi, c’est que dans sa dernière version de 2015, où on dit aux villes de dépasser son cadre administratif.

The carbon footprint of Paris in 2014

The carbon footprint of Paris in 2014 @ City of Paris

Je veux prendre un exemple très simple. Quand on regarde le bilan des émissions de gaz à effet de serre (GHG) qu’on a produit dans le cadre de notre Plan Climat, on a calculé un bilan de gaz à effet de serre des émissions du territoire complet. Mais quand on regarde que les émissions de l’administration de la ville de Paris, c’est ce que demandait la loi au début, c’est beaucoup plus limité.

L’administration parisienne est importante. C’est 55000 agents, 3500 équipements publics, 1700 km de voies, 22 directions, mais son activité ne représente que 1% des émissions du territoire. Juste 250000 tonnes sur 22 millions tonnes pour le territoire complet. Donc faire un plan sur 1%, ça n’a pas un grand intérêt. C’est comme ça que naît la dynamique. C’est pour ça que je dis que ce n’est pas un outil de planification au sens propre du terme. C’est un outil qui engage vers une vision à long terme de 25% de réduction des consommations énergétiques et autres. Et s’engage parfois sur des thématiques où le maire n’a strictement aucune compétence.

K.S.: Lorsque l’on compare les plans d’action climat des villes, par exemple Paris et Berlin, à première vue les principales catégories sont similaires voire identiques: énergie, mobilité, bâtiments, urbanisme, déchets, alimentation … Mais en détail, toutes les villes sont différentes. Quels sont les points spécifiques du plan climat de la ville de Paris par rapport aux autres villes d’Europe?

The city of Paris and its agglomeration

The city of Paris and its agglomeration © Rethink 2019

Y.F.: L’une des particularités du Plan Climat de Paris est que depuis le début on a essayé de prendre en compte les conséquences de notre alimentation et de nos consommations sur le territoire régional, même si les émissions ne sont pas créés sur le territoire de la ville de Paris. De toute la nourriture consommée à Paris seulement 0,1% est produit dans Paris. Mais ça génère des gaz à effet de serre à l’extérieur de limites administratifs de la ville, et donc on a une responsabilité pour ces émissions.

On a développé une politique d’alimentation durable pour Paris. Pendant 15 ans, on l’a testé dans nos propres cantines pour voir si ça marchait ou pas. Et c’est important, ce côté exemplarité. On test des actions d’abord chez nous dans le domaine public municipal avec nos moyens, on fait les calculs et on voit si on peut l’exporter sur les cantines municipales.

Market gardening in the Paris region

Market gardening in the Paris region © Christian HORN 2011

Dans le premier plan climat en 2007 on a annoncé qu’on fera peut être 30% d’alimentation biologique et de proximité dans nos cantines parisiennes en 2014. Les cantines parisiennes, c’est 30 millions de repas annuels. Ca paraît beaucoup. Mais en fait, il y a 2 millions de repas par jour qui sont servis à Paris, pour tous les Parisiens, les travailleurs et les touristes. Au début, on est à 6% et beaucoup de personnes disent que jamais on pourrait atteindre 30%. Il n’y a pas de chaîne de production, pas de logistique, et les fédérations ne vont pas s’y lancer. Mais en 2013 on était déjà à 27%. Quand la nouvelle maire de Paris arrive en 2014, elle annonce dans sa campagne qu’on passe à 50% en 2020. Et l’année dernière, en 2019, on est déjà à 48% d’alimentation biologique et de proximité dans nos cantines parisiennes.

On a atteint l’objectif, car en mettant autant de repas sur le marché public, les chaînes de production se sont développées, mais pas tout de suite. Par exemple au tout début, la carotte bio venait de Sicile parce qu’on n’avait pas encore de carottes bio de France. Et je perdais dans les calculs le gain en gaz à effet de serre avec le transport de Sicile. Ensuite on a créé les chaînes de production de proximité.

Farmer's market in Paris

Farmer’s market in Paris © Christian Horn 2017

C’est le même message qu’on essaye de faire passer là. Si on développe notre stratégie d’alimentation au niveau territorial, on peut développer l’agriculture biologique en région Ile de France. Car ce sont des terres très riches pour l’agriculture. Mais qui sont vouées à la monoculture de blé, de céréales pour bovins et pas du tout pour nourrir les gens. Donc, on peut redonner de la valeur agricole en investissant ces terres pour l’alimentation biologique et de proximité.

Ainsi on a décidé de compter dans notre plan climat les émissions qu’on génère ailleurs. L’alimentation est le second poste. En premier poste, il y a les avions par exemple. C’est aussi le seul plan climat qui tient compte dans son bilan les émissions des avions. Et il faut quand même savoir sur le dernier bilan qu’on a publié que les avions pèsent 7,6 millions de tonnes sur les 22 millions tonnes de CO2 de la ville de Paris. C’est un tiers des émissions et sur lesquelles on ne peut rien faire.

E.T.: Pour vous, est-ce qu’il y a des enjeux et problématiques liés au changement climatique, qui sont encore sous-estimés et insuffisamment pris en compte dans le plan climat actuel ?

A public space without shade in Paris

A public space without shade in Paris © Christian Horn 2017

Y.F.: Une vraie crainte pour nous sont les périodes estivales de chaleur et leur impact sur la santé des citoyens, particulièrement des personnes fragiles. Nos territoires ne sont pas adaptés à des fortes chaleurs. Il faut s’habituer maintenant à des pics des températures estivales de 50 à 52°C dans la rue, quand même. Lors de la grande canicule en 2003, on a constaté en France une augmentation des décès de 15 000 personnes liés aux températures élevées. Différentes mesures ont été prises depuis lors et l’année dernière, il y a eu 1 500 décès supplémentaires pendant la vague de chaleur estivale. Alors, on pourrait penser que le problème a été maitrisé.

Sauf qu’en 2003 on a eu 17 jours de canicule d’affilée. En 2019 on a eu que des petites canicules de 4 à 5 jours. Dur à supporter, mais sans se fatiguer réellement. C’est à partir de 5 voire 7 jours d’affilée de canicule que la surmortalité à Paris s’accélère. Et à partir du 9ème jour de dépassement de 30°C, le risque de mortalité des personnes âgées double. Car vous fatiguez, vous déshydratez et vous récupérez mal la nuit. Et les appartements ne sont pas adaptés, souvent petits et mono orientés. Même avec le développement des ilots de fraicheur urbaine, la température ne descend pas assez pendant la nuit.

Urban cool island in Paris

Urban cool island in Paris © Christian Horn 2018

Pour moi on a perdu 15 ans depuis 2003, car on n’a pas fait suffisamment de recherche sur cette problématique de la surchauffe estivale dans les logements et les espaces urbains. On a mis des efforts pour isoler les logements pour le confort d’hiver, mais on a oublié d’expliquer aux élus que la rénovation d’un logement n’est pas que pour l’hiver, mais aussi pour le confort d’été. Car dans le contexte du réchauffement climatique, c’est aussi une question de temporalité. Dans quelques années on pourra peut-être diminuer les mesure pour le confort d’hiver, mais pour le confort d’été, il est clair qu’on va devoir renforcer nos efforts.

C.H.: Le plan climat énergie est un outil de stratégie et de dynamique urbaine plutôt récente. Il questionne différentes thématiques et demande une collaboration étroite entre les directions et une autre façon de collaborer. Est-ce que les différentes directions ont pu s’adapter rapidement aux exigences du plan climat ?

Y.F.:C’est une nouvelle vision aussi de penser et de partager la ville. Nous aussi, on doit faire des progrès là dessus. Dans beaucoup de villes, on a l’impression que l’administration gère le territoire. C’est normal, on nous a donné les clés pour gérer le territoire. Maintenant faut qu’on s’éduque à partager cette gestion. Déjà de partager un peu la gouvernance avec, par exemple,les conseils de quartier qu’on a crée.

Public participation on planning proposals in the Paris region

Public participation on planning proposals in the Paris region © Xavier Granet 2014

Je connais une époque où dans l’administration on décidait un aménagement urbain et on le réalisait sans poser de questions. Aujourd’hui on va discuter avec les gens d’abord. On les fait voter sur les aménagements. Ils ont le droit de contredire l’administration et on va les respecter. Sauf quand ce n’est vraiment pas possible autrement. Et ça, c’est nouveau.

Partager cette gouvernance, ça permet aussi d’éviter un moment donné ces difficultés d’acceptabilité sociale. Parce que les citoyens comprennent aussi nos difficultés, soit techniques, administratives, soit politiques, soit purement financière. ‘Ou vous voulez mettre cet arbre ? Bien en dessous il y a un réseau de gaz et un réseau d’électricité, donc on ne peut pas pour la sécurité.’ Pour dire que tout n’est pas faisable.

Public participation on planning proposals in the Bordeaux region

Public participation on planning proposals in the Bordeaux region © Christian Horn 2015

Maintenant on passe à une autre nouveauté. Pendant deux plans climat, alors pendant 10 ans, on a géré le plan climat avec un comité de pilotage classique composée d’élus et de l’administration. On rendait des comptes une fois dans l’année avec la communauté large, en présentant des chiffres publiés chaque année, sans dialogue.

Depuis 2019, la Ville de Paris a une Agora du Climat qui va devenir un comité de gouvernance avec un collège de citoyens, un collège d’entreprise, un collège d’ONG et un collège administratif. Le collège administratif n’est là qu’en tant qu’observateur pour pouvoir répondre à des questions. L’Agora du Climat analyse les progrès qu’on fait chaque année, regarde les priorités qu’on a indiqué et font des propositions. Des représentants de l’Agora viennent au comité de pilotage exposer l’avis du comité aux élus et à l’administration. Ça fait deux fois en deux ans, qu’on teste le fonctionnement de cette agora, ainsi nous aussi on apprend.

K.S.: Le gouvernement national russe a ratifié l’accord de Paris sur le climat de 2015 en septembre 2019. Si une ville en Russie veut s’engager maintenant dans la réduction des émissions de gaz à effet de serre et dans la transition écologique, ou et comment devraient-ils commencer? Sachant que d’une part, c’est un processus à long terme, mais d’autre part, ils doivent montrer quelques premiers résultats dans un ou deux ans.

Y.F.: Mon rôle est entre autres, d’élaborer des stratégies de suivi, de piloter, et c’est aussi de les mesurer. Mon métier initial c’est auditeur des émissions de gaz à effet de serre. Voilà 25 ans que je fais ça et heureusement, je ne fais pas que ça. Ces audits des émissions d’un territoire, c’est neuf mois de collecte de données, de travail et d’analyse pour tout vérifier et on évalue tous les cinq ans.

Flooding of the river Seine in Paris in 2018

Flooding of the river Seine in Paris in 2018 © Christian Horn

Dans notre actuelle évaluation de 2019, on a eu une accélération non négligeable de la réduction des émissions par rapport à la précédente période de 5 ans. Il y a une dynamique de fond qui était très lente et sous jacente et qui commençait à se voir en 2009, un peu plus en 2014 et qui là, en 2019, se voit clairement. Mais quand vous engagez une politique structurelle si importante, les gains au début sont très, très faibles. Ils sont dans l’épaisseur du trait, dans l’incertitude et ils prennent de l’ampleur avec le temps, et les années.

Maintenant comment on s’engage pour des actions à court terme ? Il faut lancer la dynamique et montrer que ça marche, ça rassure tout le monde. Et surtout, je pense que dans toutes les collectivités, il faut rassurer nos financiers, que l’argent qu’ils ont mis dans les actions, crée tout de suite des retours. Donc il faut investir dans des choses où on est sûr d’avoir des retours très rapides. Il y a plein de choses ou on peut avoir des retours très rapides, comme la communication et la sensibilisation des gens. Si on fait très, très bien de manière très répétée pendant un an, que ce soit pour du grand public ou dans vos équipes ou vos entreprises, ca va marcher et vous allez avoir 20% à 25% de gain immédiat. Mais si vous ne reprenez pas l’exercice régulièrement, vous perdez de 20 à 25% de gains immédiat.

Ground air temperature on August 10, 2003 at 6 a.m. in Paris

Ground air temperature on August 10, 2003 at 6 a.m. in Paris

Ainsi il faut les deux. Vous devriez lancer la politique structurelle avant les actions à court terme, pour qu’elle montre les premiers résultats, quand les actions à court terme ont eu leurs effets…

Pour tous ceux qui ont commencé tôt, comme nous à la ville de Paris, on avait du temps pour commencer lentement. On a eu maintenant 15 ans, de 2005 à 2020, pour essayer et pour avancer de manière lente. Mais maintenant on rentre dans une période critique. On dit à tout le monde qu’il ne reste que 10 ans pour agir, Pour toutes les collectivités qui se lancent aujourd’hui, il leur reste 10 ans pour aller encore plus vite, que nous avons fait. Donc il ne faut pas se rater et il faut tout mettre sur la table maintenant.

E.T.: Si une ville en Russie recherche un échange d’expériences et des savoirs sur les enjeux de la transition écologique, y a-t-il des associations, des groupes de travail où ils peuvent se joindre? Peuvent-ils contacter la ville de Paris pour des conseils par exemple ?

Today's 2030 emissions gaps

Today’s 2030 emissions gaps © CAT 2013

Y.F.: Chaque maire peut toujours entrer en contact avec la ville de Paris et ensuite ça passera par des chemins diplomatiques. Mais une ville, un maire, ou un service technique engagé et volontaire trouvera aussi des liens et contacts dans les grands réseaux, tel que ICLEI, C40 ou Global Convenant of Mayors for Climat & Energie. Leur but, c’est d’assimiler l’information, le savoir et le partager. Nous accueillons les villes pour partager le savoir et aider les plus en retard à augmenter leurs connaissances rapidement.

Dans le milieu des villes, il n’y a pas de concurrence de savoirs ou manque de partage. Il y a une concurrence avec Londres, Berlin sur, par exemple, la place financière, mais pas sur ce sujet des enjeux climatique. Ça fait 15 ans que je parcours le monde pour exporter notre savoir et apprendre des autres. Voilà, on est solidaires à échanger tout ce qu’on sait faire et apprendre en même temps. Et voilà donc, ce que je dis, dans le milieu des villes, la coopération est là.

Visit and exchange of ISOCARP planning professionals

Visit and exchange of ISOCARP planning professionals © Rethink 2017

Ce qui est important, c’est quand même aussi de trouver une ville qui est à peu près dans la même configuration. Les premières fois qu’on m’a emmené dans une ville en Chine, j’avais envie de repartir. J’avais honte, car Paris est un quartier, un village par rapport à ces villes. Ici je n’ai pas cent mille personnes par an qui arrivent et pour lesquelles je dois construire en urgence. Donc, ça, c’est important. Si c’est une ville avec un port industriel ou autre, vous allez voir par exemple Rotterdam.

Il y a des réseaux qui peuvent aider et c’est plus facile de passer par des réseaux ou des accords d’amitié et de coopération. Ces réseaux font rencontrer des élus avec des élus, des techniciens avec des techniciens, pour qu’ils parlent le même langage et se comprennent. Donc j’ai envie de dire, ça ne devrait pas poser de difficultés. Il faut juste lancer la bouteille à la mer. Se lancer.


Author: Christian Horn est le gérant de l’agence d’architecture et d’urbanisme RETHINK
L’entretien a été menée dans le cadre des travaux du groupe climat du Conseil Parisien des Européens

L’article a été publié dans la révue Project Baikal n°64

Sources

Ville de Paris. (2018). Plan Climat Énergie. Consulté à l’adresse https://www.paris.fr/pages/paris-pour-le-climat-2148/#le-plan-climat-energie-de-paris

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