Daker - Chantier en suspense

Dakar, un chantier en suspens – Sénégal

Daker - Chantier en suspense

Chantier en suspense, SN-Dakar © Jérôme Chenal

Dakar, ville d’Afrique de l’ouest, est une ville multiple et contrastée. La chaleur pèse, les personnes marchent lentement, attendent sur les trottoirs, essaient de vendre quelques objets ou font la sieste, beaucoup de regards dans le vide. D’énormes chantiers sont en pause prolongées, les ouvriers sur les chantiers sont peu nombreux et travaillent lentement à cause de moyens rudimentaires, la ville est plongée dans une situation d’attente.

La ville en plan communique l’idée d’une ville en expansion, connaissant le progrès un peu plus chaque jour. Cette communication projetée en vitrine de la ville contredit  la ville vécue, c’est-à-dire son mode de vie et ses divers lieux de rassemblements habillés par une multitude de dialectes différents. En effet, la planification de la ville et l’appropriation de l’espace public ne sont pas des éléments complémentaires d’une même réalité, mais se trouvent déconnectés l’un à l’autre. L’État se sert de cette capitale comme une ville vitrine de la modernisation africaine tandis qu’un manque de ressources réel est de plus en plus présent dans le quotidien des habitants. De ces deux forces opposées en résulte: une ville en chantier, dans un moment en suspens.

Plan des circulations

Plan des routes de Dakar

Plan des routes de Dakar © Claire Duchamp

 

Dakar manque de place. La circulation devient impossible entre le centre de Dakar et le reste du pays. Le problème est qu’il y a une unique route reliant le centre d’activité de Dakar au reste de la ville se développant à l’ouest. Afin de fluidifier la circulation, l’Etat finance une nouvelle autoroute en projet qui reliera ces deux points en traversant l’ensemble de l’agglomération Dakaroise. Actuellement, les travaux ne sont toujours pas achevés et les problèmes de circulation sont encore plus importants qu’avant pour des raisons de chantiers qui s’éternisent le long du tracé. Cette volonté de rendre fluide le trafic, pose des problèmes par rapport au choix du mode de transport ainsi que par le délogement des populations qui habitent sur la future autoroute. Le gouvernement fait l’unique choix de la route tandis que les grandes métropoles européennes se mettent à réfléchir différemment dans leurs stratégies d’urbanisation.

En effet la plupart des usagers de la route dakaroise sont des milliers de banlieusards qui prennent chaque jour les cars rapides pour aller travailler au centre ville. Dakar ne s’oriente pas vers une politique de transports en commun plus développés, alors qu’il n’existe qu’un train à une seule rame reliant Rufisque à Dakar, sur un trajet de plus identique à la route.

Grâce à ce choix, l’Etat oriente sa politique pour les personnes possédant une voiture particulière en niant la majorité des personnes en transport en commun. Les finances investies pour la construction de cette autoroute pourraient s’avérer utiles pour le développement du réseau des transports en commun, ce qui éviterai de déloger un grand nombre de familles. La nouvelle autoroute en projet ne garantira pas aux plus pauvres de pouvoir se déplacer. Ceux-ci seront, quel que soit le système exclus de la libre mobilité dans la ville.

Le Sénégal fixe sur Dakar une toute autre réalité, l’image de la ville moderne, celle de Dubaï et ses autoroutes ainsi que le modèle des villes sud-africaines qui représente la réussite d’une Afrique noire dans l’économie mondiale. Dakar cherche à être une ville de l’économie mondiale. La recherche de l’image de la modernité est présente derrière ses programmes, accompagnée d’une vision mondiale et d’une concurrence entre villes. Au-delà de cette vitrine, des centaines de milliers d’habitants laissés pour compte sur les marges d’un faux développement. Le paradoxe est que la population des exclus est majoritaire mais que la ville leur échappe, elle n’est planifiée que pour une petite frange de population.  Si les plans directeurs datant de l’époque colonialiste sont encore visibles sur le plan actuel de Dakar, les chantiers s’éternisant afin de poursuivre une image de la modernisation ne correspondant pas à la population démontrent que si le mot « colonie » n’est plus d’actualité, le même système de gestion et d’anticipation urbaine s’exécute.

Pikine

La ville nouvelle de Pikine

La ville nouvelle de Pikine © Jérôme Chenal

 

Le centre ville de Dakar subit une forte pression démographique, ses trois littoraux exercent sur lui des limites physiques au développement du centre ville, le foncier est donc limité et cher. Pikine s’est crée pour désengorger Dakar suite à une forte immigration, la ville s’est développée comme le double « pauvre » de Dakar, en s’étirant sur toute la surface dont elle disposait. L’immigration continue aujourd’hui, beaucoup de sénégalais viennent à Dakar pour trouver du travail, ils n’ont ni les moyens, ni la place pour vivre à Dakar, alors ils s’installent à Pikine dans l’attente de pouvoir un jour déménager  à Dakar. Pikine fonctionne comme un véritable sas d’attente entre le pays et la capitale, où les migrants tentent de s’adapter à la ville, apprennent le wolof, la langue d’intégration urbaine et cherchent du travail. Ils changent ensuite souvent de résidence, quittant Pikine pour un quartier plus proche du centre ville ou, en cas d’échec, retournent au village. Pikine représente la ville satellite de Dakar.

A l’échelle du piéton la pratique à pied de la ville est difficile. Si un trottoir existe il est automatiquement occupé comme un lieu de vente, avec une installation fixe bouchant la circulation. Les routes servent aux classes les plus aisées possédant des voitures et représentant une minorité ne se trouvant pas dans le besoin. Le traçage des voies implique la formation de nouveaux obstacles à cause des chantiers, gênant le quotidien de beaucoup de Dakarois. La majeure partie de la population nécessite des transports en communs ainsi que des emplacements entièrement réservés aux marchés. Les chantiers qui ont débuté pour le grand Dakar 2025 construisent de nouvelles autoroutes. Si la route n’est pas la première nécessité pour les Dakarois aujourd’hui, elle est surtout lieux de conflits de circulations, de pollutions olfactive sonore et visuelle, rendant très dure leur quotidien. L’accommodation des Dakarois aux espaces publiques n’a pas le même sens que les infrastructures urbaines. Les trottoirs censés générer des lieux de circulation pour les piétons en mouvement, les séparant ainsi des voitures, deviennent au final des lieux de vente fixes obligeant les piétons de circuler avec les voitures. Cette contradiction est révélatrice de la différence de model culturel entre ceux qui subissent l’espace urbain et ceux qui le dessinent.

En effet, Dakar connaît comme beaucoup de villes africaines le décalage identitaire entre la ville dessinée et la ville vécue car ceux qui la dessinent ne sont pas ceux y vivent. Pour éviter de répéter la même erreur de nouveaux processus urbain partant de la culture de la ville doivent être recherché.  « En Afrique, chaque vieillard qui meurt est une bibliothèque qui brûle. » (proverbe africain)
Dans la culture africaine le savoir se donne à travers la tradition orale. La transmission était considérée à l’origine comme moins efficace à l’écrit n’ayant pas l’appui du « rythme ». Une multitude de langues sont utilisées, c’est pourquoi l’étude des différentes traces de ces langues peuvent être une piste d’un nouvel urbanisme se détachant du colonialisme. Les langues appartiennent à ceux qui les parlent, sont façonnées par eux et sont les résultantes des constructions identitaires.

Le français est la langue officielle de la ville et est présente dans sa toponymie, le wolof est la langue véhiculaire et représente la langue d’intégration possédant peut être la clef d’entrée dans le centre ville de Dakar. D’après une enquête menée par Philippe Antoine dans « les voix de la ville » : les hommes nés à Dakar déclarent bien parler le wolof dans 97,4% des cas, tandis que les migrants ne le parlent bien que dans 81,7% des cas. Ceux qui parlent le moins cette langue sont les Diola (51% déclarent ne le parler que peu), les Peuls (38%) et les Manding (27%), c’est-à-dire d’une part les minorités les plus représentées dans la ville (Peuls et Manding) et d’autre part la minorité (Diola) issue de la région du Sénégal (la Casamance) qui semble le plus résister à l’expansion du wolof.

La politique urbaine actuelle n’exploite pas ce qui fait la richesse culturelle de la ville, notamment le multilinguisme présent. Le savoir se passant par l’oral à travers les générations dans la tradition africaine, et la transition entre l’oralité et l’écriture n’étant pas encore clairement fixé, il est intéressant de comprendre les croisements entre les différents dialectes dans le but d’en faire des pistes d’exploitation pour une nouvelle urbanité en Afrique qui aurait l’ambition d’être cette fois africaine. Si la langue officielle de Dakar est le français selon la politique linguistique, elle n’est utilisée seulement dans l’enseignement et les institutions en réalité, et est loin d’être appris par la majorité. La langue véhiculaire qui se trouve être au cœur de l’intégration est le wolof, elle représente loin devant le français un premier défi d’apprentissage pour la majeure partie de la population. En fonction des environnements une grande partie de la population pratique une multitude d’autres dialectes existants. Les personnes apprenant le français, ou le wolof, se servent de ces langues pour traduire littéralement des images appartenant à leurs langues d’origine, le wolof et le français deviennent des outils de représentation sociale. On assiste par conséquent à de nouvelles langues qui se créent par coexistence de langues existantes. Cette création de nouvelles langues qui est entrain de s’opérer est appuyée par la transition entre oralité et écriture qui reste floue, et qui crée aussi des mélanges d’alphabets entre l’arabe et le latin.

Selon Roland Barthes dans une conférence sur sémiologie et urbanisme : « le meilleur modèle pour étudier la ville est la phrase, la phrase du discours »En effet mettre en parallèle  la composition des nouvelles langues émergentes  et les adaptations des espaces publiques à l’initiative des individus, peut générer  de nouveaux processus de formation urbaine dévoilant cette fois l’identité africaine.

*Sources: photographies par Jérôme Chenal/ cartes: faîtes par l’auteur à partir de google map/ pourcentages: livre « les voix de la ville » de Philippe Antoine/ Enquête réalisée dans Dakar par l’auteur.

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